La gouvernance : facteur clé pour le leadership européen sur le futur Internet des Objets
9 juin 2014Les Etats-Unis ont été les premiers à déployer l’Internet. Ils en ont largement profité ! 20 ans après la décision de l’administration Clinton d’en faire bénéficier le secteur commercial, les États-Unis acceptent tout juste aujourd’hui d’ouvrir la discussion sur un meilleur partage de certaines fonctions critiques de la gouvernance de l’Internet.
Le web, lui, a été inventé au CERN, en Europe, par un anglais, il y a 25 ans.
L’Europe n’en a tiré aucun profit spécifique.
Pourquoi ? Parce qu’elle n’a joué aucun rôle dans sa gouvernance.
“L’Internet des objets” est la prochaine vague d’innovation, appelée à transformer nos modes de vie, nos économies, nos emplois également, à la fois dans l’industrie et les services. Une étude récente de BI Intelligence estime aujourd’hui à 1,8 milliards le nombre d’objets connectés ; ils seront 9 milliards en 2018, dépassant alors le nombre combiné des PC, tablettes et smartphones. D’autres études évoquent 20 voire 50 milliards d’objets connectés à cet horizon. Et ces objets transformeront des secteurs comme l’énergie via les smarts grids, le traitement des déchets ou encore les modes de production industrielle.
L’Europe saura-t-elle faire basculer à son avantage les nouveaux équilibres créés par cet Eldorado ? Ici encore, ce sont les enjeux de gouvernance qui structureront la répartition de la valeur, la capacité à prendre des positions de leader sur les marchés, et par conséquent à susciter le développement et l’emploi.
Or les standards et la gouvernance de l’Internet des objets sont encore en émergence.
C’est aujourd’hui qu’il faut s’en préoccuper, et construire les mécanismes qui assurent à la fois le respect des principes de liberté publique (notamment la protection des données et de la vie privée) et un cadre d’action propre au développement de l’industrie européenne.
La standardisation est un élément incontournable dans cette guerre stratégique éminemment internationale, et en particulier dans les objets connectés, de par leur impact transversal sur la plupart des secteurs d’activité. L’absence de standard dans le domaine de la RFID (identification par radio-fréquence), dans les années 2000, a été l’un des freins majeurs dans le déploiement de cette technologie, malgré sa maturité et les avantages compétitifs potentiels. Aujourd’hui encore, trop peu d’entreprises et d’organisations françaises et européennes sont présentes dans les instances de normalisation, pour définir et influencer les standards de demain, ce qui place notre pays et notre continent dans une position de suiveurs par rapport à des règles définies par d’autres.
Pendant ce temps, IBM, General Electric, Cisco, Intel et AT&T, tous géants américains, forment en ce moment “l’Industrial Internet Consortium” pour contrôler les standards qui demain faciliteront l’intégration des mondes physiques et numériques.
Cette situation rappelle un précédent de 2007. Lorsqu’il s’est agi de standardiser le nommage des objets (élément clef pour identifier les objets connectés) un consortium mondial, de base américaine, a misé sur un standard s’appuyant sur une plate-forme “racine” unique, située aux États-Unis et opérée par la société américaine Verisign. Il a fallu près de 5 ans de travaux conjoints, menés principalement par des acteurs français, notamment GS1 France, Orange, l’INRIA et l’AFNIC, pour aboutir à l’adoption d’un standard – dit ONS 2.0 – s’appuyant sur un système fédérant plusieurs racines, évitant ainsi une dépendance stratégique supplémentaire de l’Europe vis à vis des Etats-Unis.
Aujourd’hui, il est nécessaire de se préoccuper fortement du développement et de la gouvernance de l’Internet des objets, en s’appuyant sur les atouts de notre pays dans ce domaine : culture scientifique de haut niveau, ingénieurs de grande qualité et dynamisme de nos entrepreneurs, mais également qualité de la réglementation sur la protection de données et de la vie privée, qui peuvent devenir le levier d’une politique industrielle ambitieuse.
Dans le cadre des 34 plans de la “Nouvelle France Industrielle”, un groupe de travail sur les “Objets Connectés Industriels” a été mis en place. Ses propositions sont au croisement de l’Industrie et du Numérique. Elles peuvent être mises en œuvre rapidement en s’appuyant sur les actions déjà menées dans ce domaine par le Centre National de Référence de la RFID, avec l’appui du Ministère de l’Économie, du Redressement Productif et du Numérique.
Donnons-nous l’ambition et les moyens nécessaires pour faire de notre pays le berceau d’un Internet des objets innovant, gouverné de manière équilibrée et responsable !
Biographie des rédacteurs
Daniel NABET, Président du Centre National de référence RFID – CNRFID
Polytechnicien et Ingénieur Général des Mines, Daniel Nabet exerce depuis avril 2009 la fonction de Directeur Régional du groupe Orange en Champagne – Ardenne.
Vice-président du CNRFID de 2010 à 2012, il est élu Président du Centre en 2012. Début 2014, il est chargé par le gouvernement d’animer un groupe de travail sur les “Objets Connectés Industriels”, dans le cadre du projet de La Nouvelle France Industrielle de François Hollande et Arnaud Montebourg.
Mathieu WEILL, Directeur général de l’AFNIC
Ingénieur des télécommunications et ancien élève de l’École Polytechnique, Mathieu Weill est depuis le 1er juillet 2005 directeur général de l’Afnic, association en charge des noms de domaine en .fr notamment. L’association emploie à ce jour près de 80 collaborateurs et gère plus de 2 700 000 noms de domaine.
Mathieu Weill a travaillé auparavant pendant 5 années au Service des Technologies et de la Société de l’Information du ministère délégué à l’Industrie.